Interview de Rabiaa Marhouch dans MarocHebdo par Aissa Amourag
Parution le 7 janvier 2024
Dans l’Hebdo N° 1514
Écrivaine, docteure en littérature, Rabiaa Marhouch se lance dans l’aventure et monte sa propre maison d’édition, Africamoude, tournée vers l’Afrique. Avec plusieurs publications déjà sorties, l’éditrice voit grand et entend enrichir la scène littéraire marocaine et africaine.
Interview de Rabiaa Marhouch, éditrice et fondatrice de la maison d’édition Africamoude.
Rabiaa Marhouch : « Il n’y a pas encore un véritable marché africain du livre »
Vous venez de créer une nouvelle maison d’édition, Africamoude. Parlez-nous un peu de cette nouvelle structure littéraire ?
Africamoude est une maison d’édition panafricaine qui a vu le jour en 2023 à Rabat et ambitionne de se positionner sur le marché transnational. Nous sommes sur le segment de l’édition généraliste de livres de fiction, de réflexion et de littérature pour enfants et pour jeunes. Je tiens aussi à préciser que nous sommes très attachés à la valorisation de notre patrimoine culturel et de la créativité intra-africaine, tout en rappelant que nous revendiquons l’universalité. D’ailleurs, notre devise reprend cette conviction : « L’Afrique est notre ancrage, l’universel est notre destination ».
Quelles sont vos premières publications ?
Nos premières publications comportent deux livres jeunesse dans la collection Dragonnier : Grand-père Ouidi au Sahel du grand écrivain Eugène Ebodé qui nous a spontanément accordé sa confiance pour publier ce magnifique texte plein de sagesse et de facéties, et « Va où le vent te mène » de Dominique Nouiga qui aborde, de façon très moderne et sensible, des questions sérieuses comme le changement climatique et l’immigration ; elle le réalise dans un style enjoué et adapté aux enfants. Ce livre est magnifiquement mis en images par l’illustratrice talentueuse, Rita G. Rivera. D’autres livres sont à paraître bientôt dans Africamoude et nous espérons apporter notre pierre à l’édifice de l’édition africaine.
Pourquoi vous avez choisi de vous intéresser à l’Afrique ?
L’Afrique est notre continent et notre horizon. Lorsque j’étais étudiante en France, j’ai eu la chance de découvrir les littératures du continent, celle du Sud et celle du Nord de l’Afrique. Mais j’ai remarqué que, malheureusement, ces deux littératures ne se connaissaient pas assez. Les Africains ne se lisent pas mutuellement, il y a des cloisonnements qui relèvent de tristes legs historiques et de la méconnaissance issue de nos propres retards ou incuriosités structurelles. Toutefois, il convient d’ajouter que le public africain est très au fait de ce qui se publie ailleurs dans le monde et connaît bien et suit les célébrités littéraires mondiales, mais il ignore ce qui se passe chez son voisin!
Comment trouvez-vous l’ouverture culturelle du Royaume sur l’Afrique ?
A mon retour au Maroc, j’ai trouvé une très belle dynamique culturelle tournée vers l’Afrique. Cette ouverture et cette volonté, sous la conduite de SM le Roi Mohammed VI, m’a encouragé à m’investir dans le monde de l’édition panafricaine. Je pense que nous avons beaucoup à faire sur le plan culturel pour une meilleure connexion et connaissance intra-africaines, et le livre comme l’édition ne doivent pas être en reste. Ce sont mes motivations que j’ai partagées avec mon associée Dominique Nouiga au moment où nous avons réfléchi à ce projet. Aujourd’hui, nous sommes fières de nos premiers pas, puisque le recueil de contes Grandpère Ouidi au Sahel s’est très vite fait remarquer par la critique littéraire et a été choisi parmi les coups de coeur de la littérature jeunesse du Monde Afrique.
Quels sont vos objectifs à moyen et à long termes en matière d’édition de livres ?
Notre objectif principal est d’arriver à produire des livres de qualité et faire de la maison d’édition et de ses différentes collections un espace de création et d’émulation où vont se rencontrer les plumes du continent. Bien sûr, c’est la première étape et c’est notre ligne éditoriale, mais nous travaillons aussi pour trouver les meilleures voies pour diffuser et distribuer nos productions, afin que les publics africains et mondiaux se rencontrent aussi et se lisent mutuellement. Cette partie est plus difficile car malgré la richesse de ce continent, la professionnalisation du secteur de l’édition et la structuration du marché du livre sont encore à parfaire.
Y a-t-il, selon vous, un véritable marché africain du livre ?
Malheureusement, non. Il n’y a pas encore un véritable marché commun et transnational, avec des circuits de diffusion/distribution fiables et solides pour que les livres circulent sur le contient ; la formation aux métiers du livre dans beaucoup de pays est à construire ; les disparités des niveaux socio-économiques d’un pays à l’autre, l’absence d’une monnaie commune et le prix du livre sans des aides étatiques pendant une période déterminée, sont des facteurs qui freinent l’émergence d’un marché du livre continental pour en faire un levier industriel incontournable et non marginal.
Quel est votre regard sur l’avenir de la littérature marocaine, arabe et africaine ?
L’avenir dépend de beaucoup de facteurs mais je suis très optimiste, parce qu’aujourd’hui on parle de plus en plus de ce secteur. Les pouvoirs publics, au Maroc notamment, ont pris conscience de l’importance de soutenir l’émergence d’une industrie du livre solide. Je vois aussi beaucoup de nouvelles maisons d’édition naître au Maroc, conduites par des éditeurs motivés et compétents qui ont une véritable ligne éditoriale et une vision précise de leurs ambitions.
C’est d’abord à ce niveau que la littérature se fait : offrir au public des livres de qualité. Nous sommes aussi, nous éditeurs émergents, à l’écoute des besoins des lecteurs et nous savons que notre marché national, par exemple, est multilingue et que le secteur de la littérature jeunesse offre des opportunités importantes. Notre offre éditoriale doit donc s’adapter à ces besoins. Construite l’avenir, c’est écouter les besoins du présent.
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